Studio d'Hadley – Résidence universitaire de Londres – 28 octobre 2011

« Alors ? » demanda Hadley, légèrement agacée par ce silence qui durait maintenant depuis une minute trente. Après, tout, Katalina, une amie dirons-nous d’étude, était venue frapper à sa porte pour une raison, et le fait qu’elle ne prononce pas un mot, les yeux rivés sur ses mains, emmêlant ses doigts d’une main avec ceux de l’autre, ça n’avançait en aucun cas la conversation. Stressé comme jamais, à en juger par son attitude, la brune releva le menton pour croiser le regard de mademoiselle Wynfield. « J’ai un problème… Enfin, moi et Gary, tu sais, on sort ensemble depuis deux mois et mardi j’ai… » Elle s’interrompit dans sa phrase, puis se tut pendant quelques secondes. « Viens en au fait Dawson, je ne vais pas te juger ! Tu fais ce que tu veux, ma vision de toi ne changera pas. » Malgré l’utilisation du nom de famille pour la dénommer et l’intonation de sa voix, Hadley avait toujours appréciée Katalina, peut-être un peu moins à ce moment présent car elle lui faisait perdre son temps, elle était l’amie pas trop envahissante avec qui elle partageait des centres d’intérêts. « Je suis enceinte… De Gary, évidemment mais ça ne fait que deux mois et je ne lui ai pas dit, et je ne peux pas lui dire. Il est trop immature pour s’occuper d’un enfant, il est toujours dehors avec ses amis, à sortir le soir… Je ne sais même pas ce que je veux faire… Tu ferais quoi à ma place ? » Hadley se leva impassible pour aller chercher deux tasses et servir le café. Remplissant les récipients, elle lui répondit derrière le comptoir de sa cuisine américaine. « Eh bien, je ne suis pas sûre que mes conseils soient très adéquates étant donné que je déteste les enfants et qu’ils ne font absolument pas partis de mes projets futurs, donc je mettrai un terme à ma grossesse sans hésitation… Mais, si tu tiens à le garder, mais que tu ne veux pas le dire à Gary, plaque Gary et garde le. » Termina-t-elle en posant une des tasses devant son amie et en sirotant l’autre. « Je ne peux élever un enfant toute seule ! Il a besoin d’un père et… »  « Ma mère m’a élevé toute seule. J’ai toujours eu des bonnes notes, je suis ressortie major de promo l'année dernière et j’aurai un travail génial. » Katalina le savait, elle avait suivi le même cursus à l’université. Mais elle connaissait aussi la vie de Hadley « Mais tu détestes ta mère ! Je ne veux pas que mon enfant me déteste ! » Toujours impassible devant la crise de nerfs de la jeune femme, Hadley repris « Je ne la déteste pas, je n’ai aucun lien affectif avec elle. Tu préférerais que l’amour de ton enfant plutôt que sa réussite ? Un peu égoïste comme mentalité… » Katalina resta outrée devant si peu de compassion. Mais elle se rappela vite qu’elle se tenait devant son amie la moins empathique et sensible. « Tu n’as jamais eu de nouvelle de ton père ? » Katalina avait toujours pensé que si Hadley était si axée sur son travail, plutôt que sur ses relations, qu’elles soient amicales ou amoureuse, c’était parce qu’elle, en plus d’avoir une mère pas très chaleureuse, manquait de l’affection d’un père. Il faut dire que Katalina avait une idée très arrêtée de la famille et un peu conservatrice, alors elle partait dans les clichés. Hadley haussa les épaules « Il m’envoie une lettre tous les six mois et m’offre un souvenir des pays qu’il traverse pour mon anniversaire. » « Et tu lui réponds quoi ? » « Je ne lui ai jamais répondu. Que veux-tu que je réponde ? Je ne le connais même pas. » Hadley n’avait jamais " souffert " de ce que l’on pourrait appeler l’absence d’un père. Elle n’avait jamais envié ses amis pour en avoir un, et elle n’avait jamais ressenti le besoin de le connaître. Elle savait qu’il était archéologue, qu’il voyageait un peu partout, qu’il était érudit de mythologie grecque, et qu’il était partie lorsqu’elle avait six mois parce que sa mère l’avait jeté dehors, pensant qu’il n’était qu’un frein à ses projets, même si elle l’avait aimé.
Katalina avait appelé Gary après avoir quitté l’appartement de son amie, convaincue par celle-ci non pas par ses conseils, mais surtout parce qu’elle eut peur que son enfant devienne comme elle. D’ailleurs, Gary et elle ont décidé de garder leur bébé et sont partis s’installé au fin fond de l’Alaska. Hadley avait été invitée à ce qu’on appelle la " Baby Shower " mais elle n’aimait pas les enfants et c’était au mois de mai, impensable de prendre congé pendant cette période chargée professionnellement. D’ailleurs, Katalina est femme au foyer et a eu un deuxième enfant. De quoi faire frissonner de dégoût Hadley.

Mairie – Hawksead– 15 Janvier 2013

Assise à son bureau, brushing parfait, tailleur de marque élégant et sourire radieux, même si un peu faux, plâtré sur le visage, Hadley pianotait sur son agenda électronique afin d’organiser sa semaine prochaine. Cette activité étant coupée par la sonnerie de son BlackBerry provenant de son sac à main. Ne jetant aucun un regard au numéro affiché sur l’écran, elle répondit de la façon la plus professionnelle et la plus chaleureuse possible « Mairie d'Hawksead, je vous écoute. »  « Salut Hady, c’est Joshua. » En entendant la voix masculine familière, et l’identité de la personne, Hadley repris son attitude habituelle se trouvant être un peu plus froide et hautaine, tout en étant cordiale et tentant de faire preuve de sympathie. Après tout, la communication était son métier. « Oh Joshua. Que me vaut le plaisir de ton appel ? Bien qu’il soit pendant mes heures de travail… » Elle ajouta la dernière partie plus en marmonnant qu’autre chose.  « Et bien, je me disais, vu qu’on ne s’est pas vu depuis trois jours, et que techniquement, nous sortons ensemble, j’aurais pu venir te chercher après le boulot, et on pourrait aller manger un bout ensemble… » Hadley grinça silencieusement des dents. Bien sûr qu’ils étaient impliqués dans une relation, depuis une semaine suite à cinq rendez-vous et d’une relation sexuelle, mais il ne pouvait pas se permettre de désorganiser sa vie comme bon lui semblait. Laissant un blanc de quelques secondes avant d’entendre son interlocuteur prononcé son prénom, inquiet. « Je croyais qu’on avait planifié un rendez-vous samedi prochain, à 19h30 pour être exact. »  « Ouais, ouais, c’est toujours prévu mais tu sais, dans une relation, on peut avoir envie de se voir l’un et l’autre sans de rendez-vous planifié… Du genre, j’ai envie de passé du temps avec toi sans aucune raison… Enfin, si, le fait qu’on sorte ensemble mais de te voir plus d’une fois par semaine, de se voir le soir, comme ça, juste se parler ou se câliner… » Hadley lâcha un soupir agacé avant de couper court à cette explication gênante « J’ai déjà des choses de prévues, désolé. Ma semaine est déjà organisée, je n’ai aucun autre moment de libre. Mais ne t’inquiète pas, je suis sûre que l’on va passer un très bon moment samedi. » Un nouveau blanc se fit entendre, laissant Hadley perplexe. Après tout, elle avait été franche et polie, voire-même sympathique selon elle. « Tu sais quoi. Oublie pour samedi. Oublie pour toute les prochaines fois. Je ne suis pas un mec pour toi. Je croyais que t’étais un peu stressée et coincée au début, je pensais que c’était ton travail qui te mettait la pression mais je me rends compte que tu es juste une maniaque de l’organisation, un peu cinglée. J’espère que tu ne m’en veux pas, par téléphone, ce n’est pas très classe, et notre relation était cool, le peu de temps qu’on s’est vu, mais je suis sûr que tu trouveras quelqu’un de mieux. » Haussant les sourcils et ramenant son agenda électronique sous ses yeux, elle répondit sur un des tons les plus amical. « Ce n’est pas grave Joshua. La seule chose pour laquelle je peux t’en vouloir, c’est pour ne pas me l’avoir dit plus tôt et m’avoir fait loupé un rendez-vous professionnel prévu samedi mais je te souhaite une bonne continuation et… » Les bips d’une ligne coupée retentit dans les oreilles de Hadley, qui regarda l’écran de son portable pour voir qu’en effet, il avait raccroché. « Pas très poli. » Hadley avait compris que les relations sérieuses n’étaient pas pour elle, puisque personne n’était à sa hauteur, ou ne savait la manipuler, sans doute trop indépendante et trop peu impliquée dans une relation. C’est pour ça qu’elle ne voyait des hommes que pour soulager sa libido, et non pour fonder des projets. Son travail était plus important pour le moment. D’ailleurs, elle était douée pour ce qu’elle faisait. Toujours chaleureuse, amicale et polie, tout autant que professionnelle, sérieuse et perfectionniste, elle est le rêve des patrons et la hantise de ses collègues. Oui, car ils l’avaient bien compris, on se mettait en pas en travers de son chemin, et elle n’était pas là pour se faire des amis. Elle voulait être, et était la meilleure. Ambitieuse ? Oui, mais seulement sur son parcours professionnel. Si elle a des amis, elle n’était celle que l’on va appeler au secours si l’on a un problème. Pourquoi Hawksead? Meilleure proposition d'embauche. Tout est une question d'ambition, après tout.